La 5ᵉ imposture : quand le populisme se déguise en révolution(Par Sidya Diop)

La récente tribune de Maître Ciré Clédor Ly, intitulée « La 5ᵉ colonne », marque un tournant : celui où la parole militante cesse d’être une idée pour devenir un aveu. Aveu d’impuissance, aveu de désarroi, aveu d’un régime déjà rattrapé par le réel. Derrière le ton belliqueux et les métaphores de « justice-lance de fer », on devine le vide. Ce texte, censé défendre une « révolution », révèle surtout la panique d’un pouvoir populiste qui s’effondre sous le poids de sa propre incompétence.
Car tout pouvoir issu de la colère populaire doit tôt ou tard affronter la rigueur du gouvernement. Et c’est à cet endroit précis que se joue la différence entre une révolution et une imposture. Une révolution, au sens marxiste du terme, est d’abord une entreprise de production, d’organisation et de planification. Elle suppose une avant-garde lucide, disciplinée, tournée vers la construction matérielle et intellectuelle du peuple. Le marxisme authentique ne glorifie ni la colère ni l’improvisation ; il valorise la transformation concrète des rapports sociaux par le travail et la science.
Ce que Ousmane Sonko et ses thuriféraires appellent « révolution » n’est rien d’autre qu’un populisme bavard. Là où Marx prônait la rigueur de l’analyse, ils offrent la confusion émotionnelle. Là où Mao appelait à la « longue marche » du peuple vers l’autonomie par l’éducation et la production, ils cultivent la rancune et l’illusion. Le maoïsme, dans sa dimension constructive, reposait sur la mobilisation consciente des masses, pas sur leur manipulation par des mots creux. Mao disait : « Il faut partir du réel pour comprendre le réel. » Eux partent de leurs fantasmes pour maquiller leur impuissance.
Lénine, dans Que faire ?, rappelait qu’aucune transformation durable ne peut naître du désordre. Le pouvoir, disait-il, « n’est rien sans une administration organisée ». Or, nos nouveaux dirigeants confondent gouvernance et agitation. Ils ont hérité d’un État structuré, d’une diplomatie solide, d’un tissu économique encore fragile mais fonctionnel ; et en quelques mois, ils ont réussi à y semer la peur, le désordre et la confusion. Faute de résultats, ils cherchent des coupables : la France, la justice, la presse, la diaspora, la société civile, voire leurs propres concitoyens, parfois même dans leur propre rang.
C’est toujours le même scénario dans l’histoire des faux révolutionnaires. Ils promettent de libérer le peuple, puis l’enferment dans une autre dépendance – celle du verbe. Ils sont nombreux dans l’histoire à avoir parlé de vertu pendant qu’ils détenaient des fonds opaques. Ils sont nombreux dans l’histoire à avoir parlé de liberté pendant qu’ils bâillonnaient les siens.
Ousmane Sonko parle de souveraineté pendant qu’il détruit les institutions qui l’incarnent. Montesquieu l’avait averti : « Il n’y a point de tyrannie plus cruelle que celle que l’on exerce à l’ombre des lois. » En appelant à une « justice offensive », Maître Ly signe la mort du droit qu’il prétend défendre.
L’idéologie du pouvoir actuel se nourrit d’une mythologie de la pureté révolutionnaire. Mais la pureté est une illusion dangereuse. La Révolution française, qu’ils aiment invoquer, n’a triomphé que lorsqu’elle a renoncé à sa fièvre pour entrer dans la raison d’État. Même les grands bâtisseurs révolutionnaires – de Mao à Nkrumah – savaient qu’il n’y a pas de transformation sans travail, sans institutions et sans science. Sonko et Diomaye, eux, confondent la rupture avec la table rase, la réforme avec le ressentiment, et le leadership avec le culte de la victimisation. Leur prétendue « révolution » n’a ni doctrine, ni méthode, ni horizon économique. Elle a pour seul carburant la colère et pour seule boussole la communication.
Ce pouvoir n’a pas hérité d’un pays en ruine : il a hérité d’un État perfectible mais debout, d’une diplomatie respectée, d’une stabilité précieuse. Aujourd’hui, tout vacille, faute d’expérience, faute de vision, faute d’humilité. C’est là que se révèle la vérité du populisme : il se nourrit du rejet, il meurt de la responsabilité. Machiavel le disait : « La fortune abandonne toujours ceux qui refusent d’apprendre à la maîtriser. » Le réel est plus fort que les slogans.
Non, Maître Ly, la « 5ᵉ colonne » n’est pas à Paris. Elle est à Dakar, dans les bureaux du pouvoir, là où s’élabore chaque jour la mise à mort du bon sens, de la compétence et de la raison. Elle est dans ces cercles d’anciens gauchistes fatigués qui, faute d’avoir changé le monde, rêvent encore de revanche symbolique. Elle est dans cette élite du vacarme qui confond la parole et le destin. Elle est dans le refus de la réalité.
Le peuple sénégalais finira, comme toujours, par démasquer l’imposture. Ce régime tombera, non pas sous les coups d’une contre-révolution imaginaire, mais sous le poids de son inaptitude à gouverner. Car l’histoire, inlassablement, corrige les illusions : les faux révolutionnaires passent, les nations sérieuses demeurent. Et le Sénégal, fidèle à sa tradition de raison et de mesure, survivra à cette fièvre populiste comme il a survécu à toutes les impostures précédentes – par la patience de son peuple, par la solidité de son État, et par le retour inévitable du travail, du sérieux et de la vérité.
Sidya Diop
