ANALYSE : Comment l’exécution du mandat d’arrêt international contre Madiambal Diagne pourrait être bloquée par les principes de la justice française ? (L’analyse d’un juriste)

L’exécution d’un mandat d’arrêt international (MAI) repose sur des mécanismes juridiques encadrés, principalement par les accords bilatéraux et multilatéraux en matière d’entraide judiciaire et d’extradition entre États. Dans ce cadre de coopération, les États peuvent effectivement extrader des personnes incriminées sur demande formulée à leur encontre. Cependant, dans le cas impliquant le Sénégal et la France, cette dernière, malgré ces accords, se réserve clairement le droit, dans des cas spécifiques, de procéder à un examen approfondi, voire de refuser l’exécution du MAI (et vice-versa, à l’image du cas de Massata Diack).
Dans l’hypothèse où Madiambal Diagne choisirait de rester en France, en dépit de son engagement initial (via le réseau social X) de répondre rapidement à la justice sénégalaise, plusieurs éléments pourraient expliquer pourquoi la justice française pourrait tarder ou refuser d’exécuter le mandat émis par le président du collège des juges d’instruction du pôle judiciaire financier sénégalais. Selon l’avis de ce juriste, joint par Dakaractu, le journaliste Madiambal Diagne pourrait ne pas être inquiété.
« Le juge du pôle judiciaire financier sénégalais, par l’intermédiaire du Parquet général sénégalais, peut en effet transmettre une demande d’extradition au ministère de la Justice français (via la Chancellerie), en s’appuyant sur les conventions judiciaires existantes entre les deux pays. Toutefois, ces accords ne permettent pas l’exécution automatique de tout mandat : ils ne s’appliquent que dans des cas précis, généralement liés à des infractions graves telles que les meurtres, le trafic de drogue, le terrorisme, le grand banditisme, etc. »
« En dehors de ces cas, les juges français peuvent refuser d’accorder l’extradition malgré l’accord d’entraide judiciaire existant. Le cas de Doro Gaye est un exemple assez révélateur de cette réalité. »
Notre interlocuteur explique : « L’exemple de Doro Gaye illustre bien cette réalité. Malgré le mandat d’arrêt international émis à son encontre, et bien qu’il ait été interpellé une première fois à Paris sur demande d’un juge, aucune suite concrète n’a été donnée par la justice française depuis plus d’un an. Cela démontre que la France n’est pas tenue d’exécuter des mandats qui ne relèvent pas de crimes majeurs ou qui présentent une coloration politique marquée.»
« Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsqu’un mandat d’arrêt est reçu, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel française procède à un examen rigoureux. La personne concernée est interpellée par la gendarmerie ou la police, informée des faits et interrogée par le juge. Si elle conteste les faits reprochés, elle est généralement assistée d’un avocat et bénéficie d’une remise en liberté sous contrôle judiciaire le temps de l’examen au fond de la demande. Un élément crucial est l’évaluation de la situation politique du pays demandeur et de la nature réelle de la procédure. »
Dans le cas de Madiambal Diagne, s’il choisit de rester en France, il est peu probable qu’il soit extradé. Les actes posés au Sénégal, notamment la mutation d’officiers de police après que l’intéressé a échappé à une interpellation à la suite d’un refus d’embarquement à l’aéroport et d’une convocation à venir, semblent révéler des enjeux politiques pour certains . Ce contexte pourrait susciter des interrogations chez les magistrats français, qui pourraient ne pas comprendre l’ampleur accordée à une affaire qui, en apparence, ne relève pas d’une criminalité grave.
De plus, le placement sous mandat de dépôt d’une personne simplement pour avoir été en contact (son marabout) avec Madiambal Diagne et d’une partie de sa famille pourrait renforcer l’idée d’un dossier à caractère politique, et ce, malgré les faits présumés d’association de malfaiteurs, d’escroquerie sur les deniers publics, de détournement de deniers publics et de blanchiment commis par un groupe criminel organisé par l’utilisation des facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle. Ces faits sont reprochés à sa femme et à ses enfants via leurs sociétés Ellipse et la SCI Pharaon et leur ont valu une inculpation et un placement sous mandat de dépôt par le pôle judiciaire financier sénégalais.
Par ailleurs, les différentes sorties médiatiques de responsables de PASTEF et de membres du gouvernement qui se prononcent sur le dossier, de même que certains actes que sont en train de poser l’État sénégalais et la justice, pourraient constituer, dans un proche avenir, des éléments et une aubaine pour les avocats de Madiambal Diagne s’il y avait un recours ou une procédure visant à bloquer le mandat d’arrêt international de l’État sénégalais en France.
Notre interlocuteur signale que, sous la présidence de Macky Sall, plusieurs mandats d’arrêt international ont été émis contre des activistes et membres du parti PASTEF. « Aucun n’a abouti à une extradition depuis la France, les juges français ayant estimé que ces dossiers étaient essentiellement politiques. Ce précédent pourrait peser lourd dans l’appréciation du cas Madiambal Diagne. »
En somme, la justice française, par souci des principes d’indépendance et de respect des droits fondamentaux, pourrait refuser de procéder à une extradition, à moins que les faits ne soient jugés suffisamment graves et dénués de toute instrumentalisation politique. Dans le cas présent, les éléments déjà connus, les précédents similaires et le contexte sénégalais pourraient inciter les juges français à considérer que le dossier a une connotation politique, ce qui le rendrait inéligible à une extradition en application du principe de non-extradition pour motifs politiques.


