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LES TROIS PIÈGES QUI CONDAMNENT LE RÉGIME À L’ÉCHEC INÉVITABLE

l y a des régimes qui échouent parce qu’ils trébuchent, et d’autres qui échouent parce qu’ils se trompent d’essence. Celui-ci appartient à la seconde catégorie. Il n’a pas seulement manqué ses objectifs, il s’est programmé pour échouer. Non pas par malchance, mais d’un système. Un système où la communication a remplacé la pensée, la rancune a pris la place de la vision, la loyauté celle de la compétence, et la dualité celle de l’État. Dans ces conditions, l’échec n’est pas un accident, c’est la trajectoire.

Le premier signe d’un grand leader, c’est sa capacité à mobiliser l’énergie d’un peuple tout entier vers un but commun. Mais ce régime a détruit cette possibilité dès son origine. Sa structure morale et sa méthode politique reposent sur la division. Il parle toujours contre quelqu’un, jamais pour quelque chose. Il ne rassemble pas, il additionne ses loyaux.

Parce qu’il se nourrit de la séparation, il est incapable, même s’il le voulait, d’appeler sincèrement à l’unité nationale. À chaque initiative, une large part du pays se ferme. La défiance est devenue un réflexe national. Quand ils annoncent une réforme, la vérité meurt dans leur bouche, étouffée par la méfiance qu’ils ont eux-mêmes cultivée. Et quand ils appellent à la mobilisation, ce n’est pas le pays qui répond, mais un fragment, leur base, leur chapelle, leurs militants. Ils n’ont plus de peuple à convaincre, ils ont des adeptes à rallier. Et c’est peut-être l’échec le plus fondamental pour un chef d’État, être incapable d’aligner l’énergie nationale sur un objectif partagé, et n’oser même plus tenter l’unité, parce que la division le nourrit politiquement. C’est le premier piège, la haine qui divise et la dévotion qui aveugle.

Le régime vit de ce qui sépare, il meurt de ce qui unit. Mais ce régime ne se contente pas de haïr ses ennemis, il est jaloux de tout ce qui le dépasse. Il ne supporte ni les anciens adversaires, ni les anciens alliés. Il jalouse même ceux qui l’ont aidé à arriver au pouvoir. Il les regarde d’un œil soupçonneux, comme s’ils n’avaient agi que par intérêt. Il méprise ceux qui “n’étaient pas là au début”. Il considère la République comme un butin réservé à ceux du premier cercle, un espace fermé, un entre-soi. Ces hommes se croient légitimes parce qu’ils ont souffert, non parce qu’ils savent. Ils se considèrent élus parce qu’ils ont résisté, non parce qu’ils comprennent. Ce sont des parvenus politiques, des arrivistes d’État, qui confondent la conquête du pouvoir avec la compétence pour l’exercer. Ils ne dirigent pas un pays, ils gèrent une revanche. Ils ne gouvernent pas, ils se vengent.

Et derrière cette revanche se cachent deux moteurs morbides. Une haine viscérale contre Macky Sall, devenue colonne vertébrale morale. Et une dévotion irrationnelle à Ousmane Sonko, devenue religion politique. Ces deux pulsions les unissent et les condamnent. Ils ne peuvent renoncer à la haine sans renier dix ans de discours. Ils ne peuvent douter du chef sans s’effondrer collectivement. Aucun d’entre eux n’a de crédit personnel, ils vivent de la lumière du chef. Et ce chef, en voulant tout centraliser, a fini par tout immobiliser. C’est le premier piège, un régime prisonnier de ses passions, incapable d’aimer le pays plus qu’il ne se déteste lui-même.

Le deuxième piège est le récit sur la dette. Au lieu d’assumer l’État, ils ont choisi de faire du soupçon une arme politique. Pour s’inventer une rupture, ils ont brandi la fable d’une “dette cachée”, d’un mensonge d’État, d’un complot financier hérité de leurs prédécesseurs. Mais le drame, c’est que ces accusations n’ont pas été menées au nom du pays, elles ont été menées contre le pays.

Car pendant que les proches de Macky Sall montent une défense sérieuse, avec des experts, des avocats, des diplomates et des techniciens pour démontrer la réalité des chiffres, le nouveau régime, lui, improvisait une guerre de communication, pas une bataille de crédibilité. Ils ont confié la défense du récit national à des comédiens politiques, des chanteurs de haine, des agitateurs militants. Cheikh Babara Ndiaye, Waly Diouf Bodian, Dame Mbodji et d’autres visages de la surenchère verbale sont devenus les nouveaux visages de la parole publique.

Les uns parlent au monde, les autres à leur chapelle. Les uns défendent la réputation du Sénégal, les autres nourrissent la colère de leur base. Et c’est là le cœur du scandale. Ils se moquent du pays. Ils savent qu’ils ruinent la réputation du Sénégal, qu’ils font douter les marchés, qu’ils font grimper les taux d’intérêt, mais ils s’en moquent. Leur seule obsession est de maintenir leur base militante dans une transe permanente. Ils préfèrent un peuple qui les acclame à un pays qui avance. Ils préfèrent des cris à la compétence, des shows à la diplomatie. Résultat, les marchés doutent, les investisseurs hésitent, les coûts s’envolent.

Chaque hausse de taux, chaque point de méfiance, chaque rumeur amplifiée par ces irresponsables se transforme en milliards de francs CFA perdus. Des milliards qui auraient pu financer des écoles, des hôpitaux, des routes, des salaires. Des milliards qui s’envolent parce que le régime a préféré faire du spectacle au lieu de faire de la politique. C’est le deuxième piège, celui de la trahison financière, où le mensonge politique devient une dette réelle et où l’incompétence coûte plus cher que la corruption.

Le troisième piège est institutionnel, et peut-être le plus implacable. Ce pays n’a plus un pouvoir, mais deux. Le pouvoir constitutionnel et le pouvoir réel. Ousmane Sonko n’est pas seulement Premier ministre, il est l’axe autour duquel tout gravite. Les ministères clés comme l’Intérieur, la Justice ou l’Administration sont tenus par ses fidèles. Les députés de Pastef lui doivent leur mandat. Les maires du parti, les directions générales, les agences publiques, tout est dans son orbite. Il tient le parti, la rue, les nominations et les leviers invisibles de l’administration. Le président, lui, n’a presque plus de levier politique. Il préside, mais il ne gouverne pas. Il a le titre, mais pas l’autorité. Et chaque fois qu’il voudra imposer la compétence au-dessus de la fidélité, il heurtera la machine qui le tient en place. C’est le troisième piège, le bicéphalisme du pouvoir.

Un État ne peut pas avoir deux têtes. Quand un seul homme concentre la légitimité institutionnelle et qu’un autre concentre la légitimité émotionnelle, la gouvernance devient un champ de ruines. Aucun ordre ne peut être stable quand il faut demander la bénédiction du charisme avant d’appliquer la loi. Le bicéphalisme n’est pas une invention polémique, c’est un fait structurel que toute démocratie doit apprendre à surmonter. Tant que cette confusion perdurera, le Sénégal sera dirigé par deux volontés qui se neutralisent.

Ces trois pièges, la haine et la dévotion, la trahison financière et le bicéphalisme, forment un engrenage fatal. Le régime ne peut en sortir sans se renier. S’il dit la vérité, il perd sa base. S’il ment, il perd le pays.
S’il agit pour la nation, il s’aliène le parti. S’il agit pour le parti, il détruit la nation. Mais le réel finit toujours par parler. Il parlera par la dette qui s’alourdit, par les prix qui montent, par les écoles sans tables, par les hôpitaux sans médicaments, par la colère des familles fatiguées de croire. Et ce jour-là, les slogans se tairont, les illusions tomberont, et il faudra reconstruire, non sur des promesses, mais sur des principes.

Pourtant, tout n’est pas perdu. Car la lucidité est déjà une résistance. Ce pays n’est pas mort. Il est blessé, abusé, mais encore debout. Il reste en lui des femmes et des hommes qui croient au Sénégal sans condition, qui savent que la vérité n’appartient à aucun camp. Sauver le Sénégal, ce n’est pas détruire un régime, c’est sauver l’idée même d’un pays gouvernable, responsable et digne. C’est redonner à l’État sa verticalité, à la politique sa noblesse, à la vérité sa place. Il faudra du courage pour cela, le courage de perdre la face, mais de sauver la patrie. Un jour, peut-être bientôt, ceux qui aiment ce pays comprendront que la République ne se venge pas, elle se relève. Et ce jour-là, l’espoir renaîtra, non pas dans le vacarme des promesses, mais dans le silence des actes justes.

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